extraits de C’est la peau, triptyque vidéo, 3 écrans plats, deux casques sans fil, 5 min, 2018
production galerie Dohyang Lee
Violaine Lochu se réapproprie l’image de son propre corps en parcourant, à l’aveugle, chaque centimètre de sa peau à l’aide d’une caméra go pro, dévoilant un paysage onirique, quasi abstrait.
C’est la peau s’inscrit dans l’exposition personnelle de Violaine Lochu, Hinterland, présentée à la galerie Dohyang Lee du 6.10 au 17.11.18, décrite ici par Julie Crenn :
« Le titre de l’exposition, Hinterland, renvoie à l’arrière-pays, un territoire à l’abri des vents et de la mer. Un territoire au sein duquel il est possible de prendre le temps, de se reconstruire. D’un point de vue métaphorique, Hinterland renvoie à ce qui n’est pas immédiatement visible. Il est le paysage arrière, les coulisses, l’intérieur du corps, ses fondations, ses organes et sa mémoire. Car il est ici question du corps. L’artiste en fait un outil, un instrument : le capteur, le récepteur et l’émetteur de langages intuitifs hérités de vies antérieures et/ou de traditions ancestrales. Violaine Lochu est à l’écoute de son corps, de ses expériences, de ses langages et de ses écritures. Les œuvres donnent un accès physique et sensoriel à cette écoute.
Un mouvement s’opère de l’aliénation vers l’autodétermination. « L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie. »[1] Son corps est à l’épreuve de violences plurielles : la chimie, le corps médical, les attentes et les injonctions d’une société qui ne ménage pas notamment les femmes. Une expérience que Violaine Lochu a souhaité mettre en espace, en sons et en images. Alors, l’espace même de la galerie est envisagé comme un corps sensible. Un corps puissant en phase de reconstruction. Le travail de réappropriation passe par un refus, celui d’être considérée comme une patiente, une entité passive en attente d’informations, de résultats, de précisions. En lutte contre une dépossession et une objectivisation, Violaine Lochu révèle, non sans humour, l’imaginaire subjectif de son corps. Dans cet état de rêve éveillé, elle décide de visualiser l’ensemble de ses organes et de leur attribuer un chant spécifique. Son corps se transforme alors en un orchestre polyphonique nous renvoyant une vie intérieure agissante, une symphonie singulière à travers laquelle le soin et la reconquête sont pensés par le chant.
Parce qu’elle ne se reconnaît pas dans l’imagerie médicale d’un corps objectivé, Violaine Lochu génère une représentation intime et subjective dans C’est la peau. Petit à petit, elle procède à un apprivoisement de son corps en s’autofilmant à la go-pro. Telle une archéologue scannant une statuette dont on ne sait plus rien, l’artiste travaille à une reconnaissance, une reconstruction, une reprise de soi. Hannah Wilke écrit : « Pour diffuser les préjugés de soi, les femmes doivent prendre le contrôle, être fières de la sensualité de leurs propres corps et créer ce qu’est la sensualité dans leurs propres termes, sans se référer aux concepts dégénérés par la culture. »[2] Le triptyque vidéo participe d’une affirmation, celle d’une maîtrise nouvelle de son corps et de l’image de ce dernier. »
[1] NANCY, Jean-Luc. L’Intrus. Paris : Galilée, 2010, p.42.
[2] Hannah Wilke: A Retrospective, University of Missouri Press, 1989.